Justice pour Robert Hébras
Rescapé du massacre d’Oradour-sur-Glane
Le 10 juin 1944, un bataillon SS de l’armée allemande encercle le bourg d’Oradour-sur-Glane situé à une trentaine de kilomètres de Limoges et se livre à un massacre massif de ses habitants. Les hommes sont fusillés, les femmes et les enfants enfermés et brulés vifs dans l’église. Le village est pillé et incendié par les soldats. Cette tuerie fait 642 victimes. Parmi les rares rescapés il ne reste aujourd’hui que deux survivants témoins de ce crime de guerre qui a anéanti leur famille et bouleversé leur vie : Jean-Marcel Darthout et Robert Hébras qui perdit ce jour là sa mère et ses deux sœurs.
Récemment et contre toute attente, la Cour d’Appel de Colmar dans son arrêt du 14 septembre 2012 a dénié à Robert Hébras la qualité de témoin pour ne pas avoir, à l’époque,
“distingué les Allemands nazis des Alsaciens portant le même uniforme” et
“avoir douté de l’incorporation de force érigée en vérité historique et judiciaire bien établie”. La Cour a cru devoir ajouter “
dans un souci d’apaisement de cet ancien litige entre deux régions françaises, le Limousin et l’Alsace, il apparaît également inopportun, plus de 60 ans après les faits, d’ordonner la publication du présent arrêt …”
Pour comprendre ce qui à première vue confine à l’absurde il faut relater brièvement les faits qui ont amené la Justice française à condamner l’un des rares hommes échappés de l’enfer d’Oradour.
En 1992, Robert Hébras publie son témoignage dans un livre “Oradour-sur-Glane le drame heure par heure”. A propos des acteurs de ce crime de guerre il écrit :
“Parmi les hommes de main il y avait quelques Alsaciens enrôlés soi-disant de force”. Les associations de “malgré-nous” alsaciens s’insurgent contre ce
“soi-disant” qui induit une réserve sur la nature de leur engagement. Dans un esprit d’apaisement Robert Hébras corrige cette expression considérée comme maladresse et dans les éditions suivantes, on peut lire :
“Parmi les hommes, il y avait quelques Alsaciens enrôlés de force dans les unités SS” (page 33 dans l’édition 2001).
En 2008/2009, le livre de Robert Hebras est réédité. Par erreur et à l’insu de l’auteur, l’éditeur reprend la première formulation où figure le
“soi- disant’’ contesté. Une nouvelle plainte est déposée par les Associations des Evadés et Incorporés de Force (ADEIF) du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. En 2010, le tribunal de Grande Instance de Strasbourg les déboute. Elles décident de faire appel. L’affaire est donc rejugée par la Cour de Colmar qui condamne cette fois Robert Hébras à un euro symbolique de dommages et intérêts aux associations plaignantes et
“à leur verser globalement une indemnité de frais de justice, de dix mille euros ” (Arrêt du 14 septembre 2012).
Quel peut-être l’état d’esprit de ceux qui ont réussi à faire condamner un rescapé d’Oradour ?
Robert Hébras est aujourd’hui anéanti par ce jugement qu’il ressent comme un déni de sa personne en tant que témoin de la tuerie du 10 juin 1944 où il a été fusillé par des soldats portant tous le même uniforme, où ont été massacrées sa mère et ses deux sœurs.
En réaction à l’arrêt des magistrats de la Cour d’Appel de Colmar, des professeurs d’histoire limousins ont lancé une pétition et constitué un comité de soutien à Robert Hébras. A ce jour, des centaines de personnes de tous horizons géographiques et socio- professionnels ont rejoint ce comité.
Au poids de la survie porté par les rares rescapés d’Oradour s’est ajouté celui d’une décision de justice. Comble du paradoxe : en reconnaissance de son action menée depuis de nombreuses années au service de la mémoire et de l’entente entre jeunes Allemands et Français Robert Hebras a reçu le 20 septembre 2012 des mains du Consul général d’Allemagne à Bordeaux la médaille de l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’ Allemagne. Le Consul insista sur l’importance de cette distinction
“rarement remise à une personnalité étrangère” et qui
“salue le travail accompli pour que nos peuples soient animés par l’amitié tout en connaissant leur histoire”.
Ainsi va cette Histoire et ses lancinants rebondissements. Le procès de Bordeaux de 1953 condamna les Alsaciens présents à Oradour le 10 juin 1944. L’Assemblée Nationale les amnistia (vote du 20 février 1953).
Il ne s’agit nullement de ranimer un douloureux débat mais tout simplement de rappeler les mots de Vladimir Jankélévitch :
“quelque chose nous incombe […] les déportés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer, et ils seraient anéantis définitivement”. L’Imprescriptible (édition du Seuil 1986 p.59-60).
Pour toutes ces raisons, humaines, historiques, il nous paraît important de porter à la connaissance du plus grand nombre de nos concitoyens la situation difficilement qualifiable que vit une victime, témoin survivant du massacre d’Oradour- sur- Glane. Notre soutien à Robert Hébras est total et nous l’accompagnerons dans le choix et la poursuite de ses démarches futures.
Le Comité de soutien de Robert Hébras
Contact :
soutien.hebras@laposte.net
Nous sommes outrés par la condamnation qui vient d'accabler Robert Hébras, rescapé d'Oradour,
et indignés des attendus dont le
Populaire du Centre du 15 septembre 2012 fait état :
Il se voit dénier la qualité de témoin pour ne pas avoir “
distingué Allemands nazis et Alsaciens portant le même uniforme” -dans les circonstances où il les a vus, le reproche est d'une cruelle ironie-et
“avoir douté de l'incorporation de force, érigée en vérité historique et judiciaire bien établie”.
Cette conception globalisante et dogmatique des magistrats de Colmar est plus qu'inquiétante : cela revient à considérer que tous les incorporés étaient des “malgré-nous”, sans exception. A la responsabilité collective heureusement exclue en 1953, serait substituée l'innocence collective. Sans recevoir de démenti, J.-J. Fouché cite un chiffre donné par Saisons d'Alsace, N°117, 1992 à propos de l'incorporation en 1942 : 2100 volontaires ; Georg Boos, un des accusés du procès de Bordeaux, était un de ces engagés, en 1941 (Oradour, Liana Levi, 2001, p. 49 sq).
Le jugement de Colmar vérifie le danger d'instrumentaliser l'histoire dans les prétoires, réactive un conflit de mémoires et pourrait raviver la plaie de l'amnistie de 1953, que des gestes récents avaient cicatrisée.
Il faut encourager Robert Hébras à se pourvoir en cassation, d'autant qu'il apparaît victime d'une réédition malencontreuse d'une version qu'il avait amendée, et, à tout le moins, lui manifester notre soutien.
COMMUNIQUE de l’ANACR
Lors de son congrès national, réuni à Lons le Saunier les 5,6 et 7 octobre dernier, l’ANACR a apporté son soutien à Robert Hébras. La résolution finale d’orientation mentionne : » notre société connait le racisme et la xénophobie, la montée des intégrismes, l’aggravation des discriminations et des exclusions ; la solidarité a dramatiquement reculé, les intérêts particuliers ont pris le pas sur l’intérêt général. Le monde et notre société sont en crise, une crise qui, de par la désespérance sociale qu’elle suscite, s’est traduite par des tensions ayant à plusieurs reprises gravement affecté plusieurs Etats.
C’est ce contexte qui a, s’appuyant sur une méconnaissance de l’Histoire, suscité un regain des idéologies que l’on aurait pu croire définitivement vaincues en 1945, un regain s’accompagnant dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale d’une démarche négationniste de réhabilitation des régimes qui s’en inspirèrent, en France de celle du régime collaborateur de Vichy ; en même temps que se développaient des poursuites judiciaires contre des anciens Résistants, contre des victimes de la barbarie nazie, non seulement dans ces pays d’Europe centrale ou orientale, mais aussi dans notre pays, tel le procès intenté à l’un des deux derniers survivants du massacre d’Oradour, Robert Hébras, indignement condamné, et auquel nous apportons notre soutien. »
Ce soutien national de l ‘ANACR renforce celui apporté à Robert Hébras par notre association au plan départemental le 28 mars 2012, et réaffirmé lors de la dernière réunion d’octobre.